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Entretien avec Christophe Roure

 

Christophe  Roure est le chef du restaurant deux étoiles  "Le Neuvième Art"
173, rue cuvier Lyon 6ième
http://www.leneuviemeart.com/fr/

Quel a été votre parcours ? Pourquoi avez-vous été attiré par la cuisine?

         Je fais partie d’une génération où on s’orientait parce qu’on n’était pas destiné à suivre une scolarité normale car on n'était pas forcément bien à l’école, ce qui était plutôt mon cas. En cinquième je me suis orienté vers une école hôtelière où j’ai fait trois années d’étude. J’étais relativement jeune puisque j’ai fini ces trois années à l’âge de 16 ans et demi. Je ne voulais pas rentrer dans le monde du travail tout de suite, alors j’y suis rentré à moitié par le biais d’un apprentissage en charcuterie pour donner un  complément à ma formation sur la viande notamment, la salaison (la conservation de la nourriture par le sel), les charcuteries et ainsi de suite. Donc j’ai passé un CAP en 1 an au lieu de 2 et après j’ai fait la même chose en pâtisserie où j’ai passé mon CAP en 1 an au lieu de 2. Ensuite, je suis revenu à la cuisine et j’ai fait un Brevet Professionnel (BP) cuisine en 2 ans. Cela me donnait un certains nombre d’unités de valeur pour passer le brevet de maîtrise, il en fallait 5 et le BP m’en donnait 3 donc il me restait la psychologie/pédagogie et la gestion. Je suis allé jusqu’au brevet de maîtrise et après je me suis mis à travailler.

Comment avez-vous découvert la cuisine moléculaire ?

         C’est l’influence espagnole. Les Français ont été les rois du monde pendant un certain nombre d’années et puis ça a été les Espagnols à travers El Bulli et puis d’autres qui existent encore comme Martin Berasategui. On a amené des produits typiquement espagnols, que ce soit les produits de la mer ou leur charcuterie ibérique, et ils ont travaillé avec des scientifiques. De là en a découlé un grand nombre de textures, de techniques et ils ont fait évoluer la chose jusqu’à qu’on en ait fait un peu le tour. Après on tournait en rond, c’est toujours les mêmes choses.

 

Comment définiriez-vous la cuisine moléculaire ?

       Par ses textures, mais prenons l’exemple d’une mousse froide à partir d’eau ou de molécules d’eau et simplement de gélatine, on aurait pu le faire il y a 50 ans et même plus. Donc voilà, ça fait partie de la transformation de la matière mais avec rien d’exceptionnel, on est sur de la gélatine de porc ou de la gélatine végétale. Vous allez par exemple monter cette mousse dans un batteur, départ à froid, et vous allez à peu près quadrupler le volume. Vous pouvez tremper un élément dedans et le ressortir, je vais vous montrer physiquement. (Il apporte son livre de cuisine) A la base je travaille un morceau de saumon comme ça qui est cuit à basse température, donc on englobe vraiment tout dans la cuisine moléculaire. Maintenant pour faire ça, on va cuire à basse température. C’est aussi associer à la cuisine moléculaire, puisqu’on utilise des nouvelles techniques et de nouveaux matériaux, là on a un thermoplongeur (pour la cuisson sous vide) ce qu’on n'avait pas dans le passé. On a des Holdomats (four à cuisson basse température), des fours qui sont beaucoup plus performants ce qui fait qu’en terme de cuisson on sera beaucoup plus juste et diversifié qu’on pouvait l’être avant. Et donc à partir de cette mousse je vais englober, cela ressemble à un Å“uf, et c’est une mousse qui une fois qu’on l’a trempée, on la met au frigo pendant 1 minute et il y a une reprise puisqu’on est pris en gélatine. Ainsi on a quelque chose d’à la fois très mousseux mais avec de la consistance, on va donner un effet qu’on n'avait pas jusque là. Si on congèle par ailleurs cette même mousse, les espagnols appelaient ça Â« Ã©ponge Â», parce qu’on va la mettre dans la bouche mais la chaleur va la faire fondre. A partir du moment où on a une molécule d’eau, ou n’importe quel bouillon, on va pouvoir obtenir quelque chose dans ce style. La cuisine moléculaire c’est juste l’évolution de la cuisine, il faut savoir s’approprier les techniques. La science nous a appris un grand nombre de choses. Tenez regardez ici, c’est un Å“uf qui est cuit à 63°C, vous avez un Å“uf qui est cuit mais avec une texture beaucoup plus agréable, plus moelleuse.

          En fait, ce n’est que de la technique, on cherche une destinée et puis on se donne les moyens d’y arriver. Il faut trouver des équilibres, mais ça doit toujours être au service du goût et c’est en cela qu’on a enlevé un certain nombre de choses de la cuisine moléculaire parce qu’on s’apercevait que comme l’alginate par exemple, on enlevait les acides et les couleurs. Il y a aussi la xanthane qu’on utilise beaucoup moins, c’est un épaississant qui selon moi est dangereux. Si vous voulez tester, vous prenez juste de l’eau et vous mettez de la xanthane, vous épaississez fortement et puis vous en goûter un peu. Vous attendez cinq minutes et vous aurez mal au ventre. Donc vous vous apercevez que la cuisine moléculaire n’a pas que des effets positifs.

 

La cuisine moléculaire est-elle donc plus un jeu sur les textures ?

        C’est un jeu de texture mais on n’est pas obligé de l’obtenir. Là par exemple on est sur l’idée de la pomme soufflée, mais ce n’est pas une pomme soufflée, c’est une feuille de riz. On cherche juste le produit et les goûts, et ça je dirais qu’aujourd’hui c’est beaucoup plus dans mon coup. On ne détourne pas les goûts, c’est dans ce sens là que c’est plus intéressant.

          L’estampille de ma cuisine est de recréer des mondes de nature, un petit jardin. Là on est sur de la terre qui est consommable : on utilise du malte. En fait la créativité c’est s’inspirer de ce qui existe autour de nous et de ce qu’on a en mémoire.

 

Vos clients sont plutôt ouverts à ce genre de cuisine ou bien réticents ?

        Ce n’est pas étrange parce qu’on essaye d’avoir des choses maîtrisées, et je garde toujours le produit de base, tout ce que je fais c’est amener une texture. Si je vous montre un livre d’El Bulli, là on va être dans quelque chose de complètement différent, on sera sur des textures pas toujours connues donc très surprenantes mais qui finalement à la longue font que le client ne sait pas ce qu’il aura mangé. Ce n’est pas le cas chez moi, nous on est toujours sur la base du produit, on est sur une cuisine moderne mais maîtrisée.

 

Jouez-vous sur le goût avec la cuisine moléculaire ?

        Le goût, c’est toujours le produit de base, on ne va pas jouer sur le goût je trouve, on va jouer sur les textures, le côté visuel. Je ne cherche pas à déguiser l’aliment, je garde le produit initial, sinon c’est quelque chose qui est un petit peu démodé aujourd’hui.

Donc selon vous on ne peut pas tromper le goût d’un aliment par son aspect, le recréer ?

            Il peut y avoir des produits de substitution qui peuvent intervenir puisque par exemple vous avez un végétal qui a complètement le goût d’huître, et là vous avez l’impression de manger de l’huître alors que c’est une algue. C’est juste le côté iodé, et étant donné que l’huître vit dans la mer elle a aussi un côté iodé.

Vous préférez plutôt travailler le côté moderne ou traditionnel de la cuisine, ou mélanger les deux ?

            Les deux, mais on va au fond des choses. Aujourd’hui pour les sauces on va amener beaucoup de légumes, on aura quelque chose de beaucoup plus léger, de végétal, ce qui est vraiment plus dans l’ère du temps. Avant on avait une cuisine lourde, aujourd’hui on ne doit pas voir les matières grasses, je ne fais pas de viande, et même de poisson très saucé. On est sur des bouillons, des choses faciles à manger. En ce moment j’utilise un barbecue dans ma cuisine donc on est sans matières grasses. Je cuisine un bÅ“uf qui vient soit d’Australie, le bÅ“uf Wagyu, soit d’Asie, le bÅ“uf de Kobé. Vous avez quelque chose de très persillé mais ce n’est pas moi qui fait le travail, c’est l’éleveur. Donc, vous avez des animaux qui écoutent de la musique classique, qui sont massés, qui boivent de la bière, en fait on en fait des bêtes très choyées et qui vont constituer du gras dans la fibre. Elles sont très tranquilles, très massives et là vous les cuisez et le muscle est tendre par son persillage.

         Mais ce n’est que de la technique et Â»moléculaire Â» ne veut pas dire grand chose, il est plus question de modernisme je crois, et on voit qu’une cuisine est très vite démodée et respire certaines influences. Si vous avez fait le choix de pratiquer une certaine cuisine créative, alors il faut toujours être dans la capacité de se renouveler et de suivre un petit peu ce qui se fait, c’est comme la mode, comme un meuble, comme de l’art contemporain, de l’art moderne. Il y a une évolution permanente.

 

Pensez-vous que la cuisine moléculaire a un avenir ?

            Oui, elle fait aujourd’hui partie des classiques, donc c’est une empreinte qui aura permis en tout cas de dérider et d’amener certaines textures qui font maintenant partie intégrante de la cuisine.

 

L’entretien touche à sa fin, auriez-vous quelque chose à ajouter ?

          Oui, nous on travaille la matière à travers les études des scientifiques et on sait que ça marche. Mais on ne peut pas tout faire parce que par exemple vous allez avoir un récipient dans lequel vous mettez une barrière en plastique. Vous versez le premier liquide froid que vous avez mélangé avec un produit particulier dont j’ai oublié le nom, et vous allez pouvoir verser de l’autre côté le même liquide mais chaud. Vous enlevez votre barrière et les deux produits ne seront pas miscibles, ce qui fait que quand vous buvez, vous allez avoir un côté chaud et un côté froid. Donc c’est très intéressant dans l’idée mais par contre je ne connais pas les méfaits du produit, parfois il faut savoir ce qu’on utilise.

 

            Nous souhaiterions remercier Christophe Roure pour nous avoir accueilli dans son restaurant, et pour nous avoir fourni toutes ces informations.

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